Le pillage par Israël des archives culturelles et historiques palestiniennes depuis la première moitié du XXe siècle n’a été exposé et discuté qu’au cours des deux dernières décennies environ.
En 2017, j’ai réalisé un essai cinématographique intitulé Looted and Hidden : Palestinian Archives in Israel qui traite des archives culturelles palestiniennes confisquées par Israël lors de son invasion du Liban dans les années 1980.
Dans ce film, ainsi que dans les articles et les livres que j’ai publiés sur ce sujet depuis 2000, je discute de la façon dont les forces militaires juives et israéliennes, ainsi que des individus - soldats hors service et civils - se sont emparés de matériaux culturels palestiniens tout au long du XXe siècle et jusqu’à ce jour.
D’après ce que j’ai découvert au cours de mes recherches, ces matériaux comprennent des photographies, des films, des expositions, des livres, des manuscrits, des vêtements brodés, des arts graphiques, de la musique et bien plus encore.
Les archives, collections et matériaux palestiniens saisis - culturels et autres - ont généralement été recensés et étudiés par les services de renseignement israéliens, puis transférés dans les archives coloniales, militaires et civiles, de l’État et des États. Dans de nombreux cas, les biens culturels palestiniens pillés par des particuliers ont également été versés dans les archives officielles d’Israël.
Des archives servant à préserver la mémoire historique catalogueraient le contexte, l’origine, le but et les auteurs des documents, autant d’informations qui seraient faciles à glaner dans le cas de ces documents saisis par Israël.
L’objectif d’Israël, cependant, n’est pas de préserver la mémoire historique palestinienne mais de l’effacer de la sphère publique. Par conséquent, les documents palestiniens ne sont pas catalogués et traités selon les normes et conventions archivistiques, mais sont au contraire soumis aux normes coloniales.
Contrôle
La saisie de matériel culturel palestinien ne s’arrête pas à l’acte physique de la confiscation. Israël cache ce matériel dans ses archives, limite leur accès et empêche leur diffusion. Dans le même temps, Israël classe ces archives d’une manière inexacte et partiale pour convenir au récit sioniste.
Par exemple, les documents pillés à Beyrouth sont répertoriés dans les archives militaires israéliennes sous le nom d’"archives de l’OLP" - un organisme qui n’a jamais existé.
Mes études de la bureaucratie des archives révèlent les moyens coloniaux destructeurs par lesquels Israël exerce un contrôle sur le récit et l’histoire des Palestiniens.
Mon objectif a été de donner à cette question la visibilité qu’elle mérite afin que les documents culturels et d’archives saisis et pillés soient rendus à leurs propriétaires palestiniens et restaurés dans la sphère publique.
Je suis consciente des problèmes inhérents à mon travail. Parce que les archives israéliennes détiennent les documents palestiniens par la force, les Palestiniens sont confrontés à des limitations d’accès. Il est vrai que je me suis battue pour ouvrir les archives et que j’y suis partiellement parvenue. Mais je ne peux le faire que parce que je suis israélienne.
Certains Israéliens sont directement responsables du pillage des documents palestiniens en temps de guerre et pendant les opérations militaires. Mais la société israélienne dans son ensemble est impliquée.
Effacement
L’effacement est au cœur de l’apartheid israélien et les citoyens, y compris les artistes, les créateurs et les réalisateurs (pas seulement les militaires, les politiciens et les archivistes) jouent un rôle dans le processus colonial d’élimination du passé palestinien.
L’exposition Stolen Arab Art de 2018 au Center for Art and Politics de Tel Aviv comprenait des projections d’œuvres vidéo d’artistes arabes célèbres sans leur consentement, sachant que la permission leur serait refusée en raison du boycott culturel d’Israël. L’exposition a donc été largement condamnée au sein du monde artistique israélien.
Ce n’est pas le seul cas où des Israéliens utilisent des matériaux culturels palestiniens sans l’autorisation de leurs auteurs, reproduisant ainsi les méthodes coloniales d’effacement et de contrôle.
Alors que Stolen Arab Art indiquait sans ambages que l’exposition violait les droits des créateurs, le documentaire A Reel War : Shalal, réalisé en 2021 par Karnit Mandel, laisse entendre de manière trompeuse que des séquences de cinéastes révolutionnaires palestiniens ont été incluses avec l’autorisation de leurs propriétaires.
Dans A Reel War, Mandel "découvre" où les films ont été tournés - la plupart des informations pertinentes figurent au générique des films, de sorte que la prétendue découverte est relativement mineure - mais ne prend pas la peine d’interroger leurs créateurs ou leurs familles.
Le film de Mandel apparaît comme un nouvel acte colonial dans le mouvement destructeur en cours contre la culture et l’histoire palestiniennes.
Mandel a demandé la permission d’utiliser des documents de Sabri Jiryis, le dernier directeur du Centre de recherche sur la Palestine, créé en 1965 alors qu’il était encore basé à Beyrouth. De nature académique, il a été fondé pour documenter et rechercher l’histoire palestinienne, et pour publier des livres et des articles consacrés à ce sujet.
La question de savoir si Jiryis a l’autorité pour accorder une telle permission n’est pas abordée dans le film.
Le doute principal - à savoir, comment demander la permission à quelqu’un qui n’a pas l’autorité pour la donner - n’est pas soulevé.
J’ai récemment contacté Ruti Abramovitz, archiviste de l’État israélien, pour lui demander comment des documents ont été utilisés dans Reel War sans l’autorisation de leurs propriétaires et quand les films et autres documents saisis seront rendus à leurs propriétaires légitimes.
Sa réponse officielle ? "Je ne vais pas répondre."
En janvier, j’ai déposé une plainte officielle auprès du contrôleur d’État d’Israël. J’ai affirmé que les archivistes de l’État violaient les droits des propriétaires des documents culturels palestiniens saisis.
J’ai également demandé une enquête pour savoir pourquoi Israël détient ces documents et quand les biens culturels saisis seront rapatriés.
Lors d’un appel téléphonique deux mois plus tard, on m’a répondu que le contrôleur d’État n’était pas obligé de répondre à la plainte.
Il existe au moins un précédent de restitution d’archives par Israël à leur propriétaire palestinien : celui du photographe jérusalémite Ali Za’rur.
Bien que ces archives n’aient pas été pillées ou saisies mais offertes au maire de Jérusalem par un membre de sa famille, j’espère que cela servira de précédent pour rapatrier les archives capturées et détenues dans le péché.
Rona Sela est chercheuse en histoire visuelle, conservatrice et réalisatrice de films et chargée de cours à l’université de Tel Aviv. Une version antérieure de cet article a été publiée en hébreu dans Siha Mekomit.
Traduction et mise en page : AFPS / DD